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Portrait de Gurshad Shaheman tenant une rosePortrait de Gurshad Shaheman tenant une rose

Portrait de Gurshad Shaheman

Artiste multiforme – auteur, acteur, metteur en scène, perfor-mer –, mais aussi traducteur et pédagogue, Gurshad Shaheman est depuis quelques années un artiste incontournable de la scène théâtrale française. Il se tourne à présent vers la Belgique, pour notre plus grand plaisir.

Franco-iranien, Gurshad Shaheman a forgé sa personnalité et son art dans une double culture, composite mais tout aussi unique. Il passe son enfance en Iran, dans les années 80. Son père, un homme peu démonstratif et pudique, est ingénieur en ponts et chaussées et travaille sur le front pendant la guerre Iran/Irak. Sa mère, une femme jusque-là en retrait, quitte son père dans les années 90 et arrive en France, avec ses enfants. De nombreuses épreuves de la vie attendent Gurshad : l’apprentissage du français, l’intégration, mais aussi la découverte de sa sexualité.

Le théâtre est le lieu où reposer la question du vivre-ensemble.

Une passion pour la culture, qu’elle vienne d’Iran ou de France, qu’elle soit populaire ou pointue, qu’elle soit théâtrale, littéraire, cinématographique ou télévisuelle, anime Gurshad et l’amène vers de nouveaux horizons. « Quand je suis arrivé en France à l’âge de 12 ans, j’ai très vite compris que ma survie dépendrait de mes efforts pour intégrer les normes. Je dévorais la littérature, et tous les samedis j’empruntais à la médiathèque des CD de chansons françaises. » (Les Inrockuptibles, septembre 2016).

Après une Fac de Lettres et le Conservatoire de Toulon, Gurshad se forme à l’École Régionale d’Acteur de Cannes (ERAC). À sa sortie, il rencontre le metteur en scène Thierry Bédard qui travaille alors avec l’auteur iranien Reza Bahareni. Le jeune acteur devient alors son nouveau traducteur, tout en collaborant au travail de Thierry Bédard et d’autres metteurs en scène. Bientôt, ce parcours institutionnel ne le satisfait plus. Il se sent à l’étroit dans l’interprétation. Une envie d’écrire et de créer ses propres spectacles l’appelle. En 2012, il écrit Touch me, une performance au départ unique qui deviendra la première partie du triptyque Pourama Pourama. Ce n’est qu’après avoir écrit chaque partie, dans des temporalités différentes, qu’il se rend compte qu’elles forment un tout. Cette réunion des trois volets part également d’une envie d’explorer un autre dispositif scénique, où le spectateur est invité à se déplacer, physiquement et intérieurement, à participer à une sorte de rituel. « On ne peut pas être consommateur de ma pièce, on est obligés de s’impliquer. Le théâtre est le lieu où reposer la question du vivre-ensemble et de ce qu’on y met chacun. », précise-t-il dans un article publié dans Le Devoir en mai 2018.

UNE PLUME SINGULIÈRE

Tout jeune déjà, le rêve de Gurshad était de devenir écrivain. Adolescent, il participe à de nombreux concours de nouvelles. Il confie à La Libre Belgique, en janvier 2019, que « l’endroit où il se sent vraiment bien, c’est l’écriture. C’est là où il arrive à identifier sa singularité. » Aujourd’hui, c’est un écrivain accompli et talentueux. Ses mots sont poignants et percutants. Ses images ont un pouvoir d’évocation très fort et font renaître des mondes disparus. Ses histoires bigarrées sont également terriblement romanesques.

Personne derrière un rideau semi-opaque
Gurshad Shaheman, Pourama Pourama, 2015 © Jeremy Meysen

ET LA BELGIQUE ?

Bien qu’il vive à Bruxelles depuis cinq ans, Gurshad Shaheman vient seulement de faire ses premières représentations en Belgique – Pourama Pourama a été présenté en janvier 2019 au Théâtre de Liège. Souhaitant confirmer son implantation dans le paysage professionnel belge où il a choisi de vivre, sa nouvelle résidence au Théâtre Les Tanneurs arrive à point nommé. Ce lieu, son quartier, son histoire lui permettront d’approfondir le dialogue déjà engagé avec les artistes belges, les acteurs culturels et associatifs.Performer hors-pair, Gurshad se produit parallèlement dans des cabarets, notamment aux côtés de Jean Biche. En tant que pédagogue, il intervient à l’ERAC, dans divers conservatoires en France, ainsi que dans l’antenne belge du Cours Florent.

LA VIE, CETTE SOURCE D’INSPIRATION

La rétrospective de Marina Abramovic, en 2010, au MOMA de New York, et plus spécifiquement la performance The Artist is Present (filmée par Matthew Akers), déclenche quelque chose de fort auprès de Gurshad. Il est frappé par la manière que l’artiste serbe a de répercuter l’Histoire de son pays et du monde à travers des formes très personnelles qui mettent son corps en jeu. Edvard Munch est également un déclencheur. À la fin de sa vie, le peintre norvégien avait une tache dans l’œil. Quand il peignait un paysage, il y peignait la tache puisqu’il le voyait ainsi. En 2012, Gurshad décide de se lancer dans un récit autobiographique et de mettre des mots sur ce qui l’anime intérieurement, sur ce qu’il a vécu. « Je me suis demandé quelle était ma tache dans l’œil. » L’image de son père lui apparaît rapidement. Comment son histoire vécue et l’Histoire subie impactent son intimité ? Il se sert du matériau de sa vie pour l’emmener ailleurs.

L’artiste franco-iranien est à l’écoute de ses contemporains. Le souvenir, le vécu, les témoignages l’habitent. Il aime rassembler des récits, reconstituer des bibliothèques vivantes. En 2017, Gurshad part à Athènes et à Beyrouth pour rencontrer des réfugiés LGBT issus du Moyen-Orient et du Maghreb, récolter leurs récits de vie pour les confier à des acteurs professionnels. Cette enquête donne lieu au spectacle Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète, créé au Festival d’Avignon en 2018. La pièce est une compilation de mémoires d’individus, le récit des oppressions qu’ils ont subies, mais aussi leurs histoires d’amour et d’espoir. Le tout constitue une sorte de cartographie intime de l’exil.

Gurshad Shaheman enlacé par un comédien
Gurshad Shaheman, Pourama Pourama, 2015 © Barbara Laborde

Sa création Silent Disco part à la rencontre de jeunes en rupture avec leur famille. Quand Gurshad était en quatrième secondaire, une élève, qui vivait dans un foyer d’accueil, est arrivée au milieu de l’année scolaire. Ses parents avaient voulu la marier de force et l’avaient violentée suite à son refus de ce mariage. Gurshad se souvient de la fureur de vivre de cette jeune fille. Cet épisode n’est malheureusement pas un cas isolé. Dans Silent Disco, Gurshad amènera les jeunes à écrire leur histoire et à la dire sur scène. L’auteur cèdera la plume ici à des tiers et leur laissera toute la liberté expressive dont ils auront besoin. Il veut amener chacun à se mettre en scène dans le récit de sa propre vie comme s’il en devenait un personnage, à reconstituer son vécu en mettant les mots sur les événements.

COMMENT NOS EXPÉRIENCES NOUS FAÇONNENT-ELLES ? COMMENT LE MONDE AGIT SUR NOUS ?

Gurshad Shaheman a également une grande expérience en tant que pédagogue. Il enseigne depuis dix ans à des publics variés : adultes, adolescents, personnes âgées, amateurs, professionnels… Accompagner les témoins dans l’élaboration de leurs propres textes et les amener à les livrer eux-mêmes sur scène ne gâche en rien la qualité professionnelle du spectacle. Au contraire, cette forme scénique permet de décloisonner le théâtre. Elle se rapproche des projets de Jérôme Bel ou Pipo Del Bono qui, en travaillant avec des amateurs, livrent au public des objets scéniques d’une rare beauté.

Gurshad aime questionner le monde à travers ses projets. Comment nos expériences nous façonnent-elles ? Comment le monde agit sur nous ? Comment pouvons-nous agir sur lui ? À ce jour, il n’a pas de compagnie. Toutefois, s’il en crée une, il a déjà un nom tout trouvé : la Ligne d’ombre, comme le roman de Conrad. Car selon lui, c’est dans les zones floues que se niche l’essentiel.