Créer en collectif : rencontre avec les Greta Koetz
Le Collectif Greta Koetz est l’une des révélations de la scène belge de ces dernières années. Composé de huit acteur·rices et d’un musicien, iels embarquent les spectateur·rices dans un univers tragi-comique qui oscille sans cesse entre la farce et le sublime.
Mais qui est cette Greta Koetz ? Une actrice allemande des années trente ? Une exploratrice suédoise ? La première femme à avoir fait le tour du monde à la voile ? Une fille de joie à qui Van Gogh aurait donné son oreille ? À vous d’y projeter ce que vous voudrez. Le Collectif Greta Koetz a délibérément choisi le nom d’un personnage historique imaginaire comme premier espace d’invention.
Sous ce nom énigmatique, on retrouve neuf personnes : Marie Alié, Marie Bourin, Antoine Cogniaux, Sami Dubot, Thomas Dubot, Antoine Herbulot, Alice Laruelle, Nicolas Payet et Léa Romagny, avec un dixième électron libre, Nicolas Marty, qui s’occupe de la régie générale sur leurs spectacles. Tous – mis à part Sami Dubot et Nicolas Marty – se sont rencontrés à l’ESACT, le Conservatoire royal de Liège, et ont décidé, après l’école, en 2018, de poursuivre l’aventure ensemble. Pourquoi galérer tout·e seul·e dans ce milieu, quand on peut construire quelque chose à plusieurs ? Iels se sont déclaré·es comme collectif, enthousiasmé·es par l’exemple des tg STAN, du collectif d’Ores et déjà ou encore du Raoul Collectif. Iels y voyaient l’opportunité de construire et choisir leur propre pratique théâtrale, de fabriquer des histoires à plusieurs.
ÊTRE, VIVRE ET PENSER EN COLLECTIF
C’est quoi un collectif d’artistes ? Cette démarche n’est pas récente et touche de nombreuses pratiques artistiques : théâtre, danse, arts plastiques, cinéma… Depuis la fin des années 1980, on retrouve des collectifs sur la scène belge, dont les incontournables tg STAN ou encore Transquinquennal. Même si chaque collectif a un fonctionnement qui lui est propre, une dimension politique accompagne souvent la création de ces groupes qui n’adhèrent plus au schéma « traditionnel » et vertical avec le/la metteur·se en scène en haut de la pyramide.
Les collectifs revendiquent le principe que chaque membre participe à toutes les décisions, qu’elles soient d’ordre artistique, esthétique ou technique, ce qui peut parfois entrainer de longues discussions. Toutes les étapes sont assumées collectivement. L’acteur·rice est au centre de toutes les décisions et est autant interprète que créateur·rice.
Cette manière d’être ensemble remet en cause la répartition usuelle des pouvoirs et des fonctions dans la création théâtrale
Les Greta Koetz précisent : « Cette manière d’être ensemble est pour nous l’occasion d’expériences politiques en tant qu’elle remet en cause la répartition usuelle des pouvoirs et des fonctions dans la création théâtrale. » Mais iels ne sont pas dupes. Ce n’est pas parce qu’iels déclarent qu’il n’y a pas de relations de pouvoir, que les relations de pouvoir disparaissent. Fonctionner en collectif est une recherche constante : chercher une façon d’être et de travailler ensemble, tout en essayant de déjouer les prises de pouvoir et les assignations que l’on se donne. Comment créer ensemble tout en se dégageant des enjeux individuels ? Par ailleurs, constituer un groupe n’empêche pas chaque membre de tracer également sa route individuellement et de jouer avec d’autres metteur·ses en scène.
La question principale qui occupe les Greta Koetz, sur le plateau et au sein du collectif, est celle de l’émancipation. Comment se défaire des assignations ? Quels espaces d’invention peuvent-ils s’aménager, que ce soit dans les rapports humains, dans la mystique ou dans l’Histoire ? Comment rendre leurs corps indociles ? Pour y répondre, iels expérimentent la déviance, prennent le chemin de l’étrange, de l’anormalité ou de l’irrégularité.
En compagnonnage avec la Cie Artara entre 2018 et 2020, le Collectif Greta Koetz crée son premier spectacle, On est sauvage comme on peut, en février 2019 au Festival de Liège. Pour ce spectacle, iels expérimentent le travail sans metteur en scène, de la manière la plus horizontale possible. Pour Le Jardin, iels modulent leur approche. La réflexion sur le jeu et la dramaturgie est collective et Thomas Dubot – qui porte ce projet depuis une carte blanche à l’école en 2015 – conduit le travail et assume la mise en scène.
UNE COMMUNAUTÉ DE TRAVAIL
Les membres du collectif ont régulièrement vécu sur les lieux mêmes où iels jouaient. Ce fut le cas lors de la toute première étape de Le Jardin, au Conservatoire de Liège, où iels dormaient dans la salle même où iels jouaient. Par la suite, iels firent deux résidences de travail, dans les campagnes namuroise et française, où leur table de travail était aussi celle de leurs repas, où les caravanes où iels logeaient étaient leur décor. Cette porosité entre le réel de leurs vies quotidiennes et le travail a donné un langage particulier, a nourri la façon dont iels font relationner les personnages.
LEUR œUVRE ÉPOUSE LE SUBLIME ET LE TRAGIQUE, TOUT AUTANT QUE LA FARCE ET LE SURRÉALISME
UNE FARCE TRAGIQUE ET MUSICALE
À l’image de leur collectif composé de différentes identités qui ont coagulé, les Greta Koetz aime le mélange des registres. Leur œuvre épouse le sublime et le tragique, tout autant que la farce et le surréalisme. La figure du paradoxe traverse leurs œuvres telle un leitmotiv. Les membres du collectif bricolent des récits à partir de toute une série de « machines » qui traînent, d’outils de comédien·nes. Tous ces petits morceaux mis ensemble forment une nouvelle composition, un terrain de jeux prolifique qui pourra être testé, tourné dans tous les sens.
De manière totalement naturelle, presque inconsciente, la musique a pris une très grande place au sein du collectif, en atteste la présence du musicien Sami Dubot. Elle s’insinue partout, accompagne le récit, apporte d’autres couleurs. Les choses mises en musique prennent souvent sens de façon plus puissante que mises en mots. Les membres du collectif aiment pousser la chansonnette en groupe. Dans Le Jardin, des chants paillards se mélangent aux chants sacrés, comme un étonnant syncrétisme.
DES SOURCES D’INSPIRATION INTARISSABLES
Le Collectif Greta Koetz travaille à partir d’improvisations. Le plateau guide leur travail. Iels se nourrissent de tout un tas de références qu’iels affectionnent particulièrement et qu’iels abordent comme de joyeux apprenties sorcièr·es. Iels puisent dans la littérature, la philosophie, le cinéma, les arts plastiques, la musique… Le récit biblique par exemple, biotope particulièrement fertile, a servi de terreau pour la création de Le Jardin et a permis de traiter de leur rapport à l’enchantement et au désenchantement. Car Dieu n’est-il pas l’archétype du mystère ? Mais de toute cette matière, c’est toujours le plateau et le jeu qui auront le dernier mot.
Comme de nombreux collectifs, les Greta Koetz se caractérisent par une complicité très forte avec le public avec qui iels communiquent, sans pour autant le rendre participant. Le quatrième mur tombe : les acteur·rice·s voient le public, s’adressent à lui, s’expliquent à lui, réagissent à ses rires et ses exclamations. Le spectacle devient alors une machine à jouer tant pour le/la spectateur·rice que pour les acteur·rices.