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Portrait des membres de la compagnie tg STANPortrait des membres de la compagnie tg STAN

TG STAN : une marque de fabrique

Le collectif flamand tg STAN, dont le noyau est composé de Jolente De Keersmaeker, Damiaan De Schrijver et Frank Vercruyssen, a vu le jour à la fin des années 80. Trente ans plus tard, tg STAN est devenu une compagnie incontournable de la scène théâtrale flamande et l’une des plus reconnues à l’étranger, notamment en France. Il faut dire que ce collectif jongle brillamment avec des pièces tant en néerlandais qu’en français et en anglais. En septembre 2022, tg STAN devient artiste associé au Théâtre Les Tanneurs. C’est l’aboutissement d’un compagnonnage qui a commencé il y a presque dix ans. Rencontre avec l’un des membres fondateurs du collectif, Frank Vercruyssen.

Qu’est-ce que cette résidence aux Tanneurs implique et symbolise pour vous ?

C’est avant tout une marque de confiance. Nous ne sommes pas juste un produit. Nous ne vendons pas de spectacles sur catalogue. Au contraire, nous avons toujours essayé de développer des partenariats artistiques et amicaux. La confiance, la continuité et la fidélité sont des données très importantes dans notre histoire. Elles sont au centre des relations que nous entretenons avec notre cercle proche composé, entre autres, du Théâtre de la Bastille à Paris, du Théâtre Garonne à Toulouse (chez qui nous sommes également artistes associé·es), du Monty à Anvers, de Campo à Gand, du Kaaitheater et maintenant du Théâtre Les Tanneurs à Bruxelles. Nous développons de vraies conversations artistiques avec les directeur·rices et les équipes de ces lieux-là, comme avec Jean-Marie Hordé à La Bastille ou Marie Collin au Festival d’Automne, au point qu’iels nous ont déjà fait des propositions artistiques.

Nous sommes associé·es pour la première fois à une structure bruxelloise francophone. Cette place à Bruxelles, et plus largement en Fédération Wallonie-Bruxelles, est précieuse pour nous car elle nous permet de toucher directement le public francophone. C’est important pour nous d’avoir un pied dans la francophonie.

Enfin, sans être flatteur, le Théâtre Les Tanneurs a une très belle salle et le public y est particulièrement délicieux.

nous sommes en évolution permanente. Nous n’avons pas succombé au marché ou à la facilité de la hiérarchie.

Vous vous êtes rassemblé·es à l’époque autour d’une conception commune d’un théâtre non dogmatique, démocratique et collectif, au sein duquel le/la comédien·ne occupe une place centrale. Quelles évolutions a connues le collectif en 30 ans ? Est-ce que ce principe de base continue à alimenter votre raison d’être ?

Les principes de base sont restés, mais j’espère bien que nous avons évolué. Notre croyance en l’autonomie du ou de la comédien·ne sur le plateau, qui est autant interprète que créateur·rice, ainsi que le travail collectif, démocratique et non-hiérarchisé sont restés totalement intacts. Tout le monde continue à participer à toutes les décisions, aux choix des textes, du décor, de l’éclairage, des costumes, des affiches… Nous voulons un théâtre direct, qui sert les auteur·rices et dans lequel chacun·e donne son avis.

Ces trente ans de carrière ne sont pas une plus-value pour nous. Ce n’est pas parce que nous avons des années d’expérience que nous savons forcément mieux que les plus jeunes. Je dis souvent aux jeunes avec qui je travaille qu’iels doivent profiter de notre expérience, tout autant que nous profitons de leur inexpérience car les deux ont une valeur énorme. Nous sommes en évolution permanente. Nous n’avons pas succombé au marché ou à la facilité de la hiérarchie. Nous ne désirons pas non plus être faussement modestes, mais l’humilité a toujours été l’un de nos moteurs.

L’actualité des STAN est impressionnante. Comment choisissez-vous les projets ? Ce sont des choix collectifs ou chaque membre vient avec ses propres propositions ?

Ça a toujours été les deux, depuis nos débuts. Parfois, nous nous retrouvons tous les trois, parfois il n’y a que l’un·e ou deux d’entre nous. Chaque comédien·ne de tg STAN fait partie du collectif, mais trace également sa propre route, que ce soit dans le cadre de tg STAN ou en-dehors. Nous ne nous interdisons pas d’« aller voir ailleurs ».

La compagnie est là pour réaliser nos rêves, qu’ils soient individuels ou collectifs. Nos chemins peuvent parfois être très éloignés les uns des autres, mais c’est un atout et non un problème. C’est agréable aussi d’être « touriste » au sein de sa propre compagnie, par exemple quand je vais voir un spectacle que Damiaan ou Jolente a créé et sur lequel iels ne m’ont pas demandé d’intervenir. Mais bien entendu, la conversation entre nous reste toujours présente.

Au sein du collectif, même si les initiatives viennent toujours de l’un·e de nous trois, une fois que le travail commence, l’objet artistique appartient, au même degré, à chaque interprète. Si je propose une pièce, comme c’est le cas pour Mitya, en aucun cas je ne garde le lead par la suite.

Nous avons aussi cette culture du consensus. Si l’un·e d’entre nous a une idée contraire aux autres, nous allons en discuter. Mais il faut apprendre à savoir revenir sur son idée ou à y renoncer si elle ne convainc pas les autres. Nous ne votons jamais. On va toujours, par la discussion, trouver une solution, même si c’est être d’accord de ne pas être d’accord.

Poquelin II © Kurt Van der Elst

Vous créez aussi avec une économie de moyens ?

Le centre étant composé du texte et du/de la comédien·ne, nous n’élaborons jamais de décor au sens traditionnel du terme, c’est-à-dire un lieu qui fasse illusion. Notre décor est subjectif et minimal, composé de meubles chinés dans des brocantes. Nous ne construisons rien et nous réutilisons beaucoup.

Créer avec d’autres compagnies fait aussi partie de l’ADN de STAN ?

Nous avons besoin de rencontres et d’échanges avec des comédien·nes invité·es ou d’autres compagnies. Nous ne sommes en aucun cas un groupe fermé qui crée des spectacles par lui et pour lui. Précédemment, nous avons collaboré avec Maatschappij Discordia et Matthias de Koning (NL), Dood Paard (NL), de Koe (BE), Olympique Dramatique (BE), Rosas (BE), de Roovers (BE)…

Le Canine Collectif est venu vous chercher pour le spectacle Les Antipodes. Est-ce un cas particulier ?

C’est très rare que j’aille visiter seul une autre compagnie. Généralement, j’en parle aux autres et j’emmène avec nous la compagnie dans le projet. Parfois on me demande pourquoi je ne fais rien en dehors de STAN (excepté dans l’enseignement ou le cinéma). En fait, je fais des trucs hors STAN tout en restant dans STAN, donc pourquoi changer une formule qui marche ? Damiaan l’a fait quelque fois, Jolente aussi, notamment avec sa soeur, Anne Teresa de Keersmaeker, et sa compagnie Rosas.

Comment cette rencontre entre une jeune compagnie francophone et tg STAN a-t-elle eu lieu ?

J’ai rencontré Camille Voglaire du Canine Collectif à plusieurs reprises et j’ai vu leur spectacle Régis. Camille m’a parlé du projet Les Antipodes et m’a envoyé le texte d’Annie Baker. J’ai tout de suite été très enthousiaste à la lecture de la pièce qui correspond parfaitement à notre amour pour le théâtre de texte. L’écriture d’Annie Baker m’a particulièrement séduit. Comme j’étais disponible pour réaliser ce projet, je me suis lancé dans l’aventure. Au départ, je devais plutôt occuper un poste de guest, mais peu à peu Camille a voulu rééquilibrer la collaboration, notamment en termes de coproduction. Je l’ai proposé à STAN. Ça collait parfaitement à notre défi de rapprocher les communautés, de jouer en français et de travailler avec des francophones. Ce qui est chouette, c’est que le projet reste avant tout un projet du Canine Collectif et que tg STAN n’est pas au premier plan.

Qu’est-ce qui vous a séduit chez le Canine Collectif ? Est-ce que vous avez vu en elles et eux tg STAN à ses débuts ?

Oui et non. Il n’y a en tout cas de ma part aucune nostalgie. Le Canine Collectif a une énergie qui lui est spécifique. Notre travail continu de rencontrer des gens de tous les âges m’a fait m’arrêter un instant sur ce collectif. Ce n’est pas la première fois que je travaille avec quelqu’un qui a 20 ans de moins que moi. Ce ressourcement constant et cette curiosité sont au coeur du projet de STAN.

Puis, j’ai été très attiré par les qualités de Camille et Benjamin Torrini qui porte ce projet avec elle. Ce sont de belles personnes pleines de curiosité, d’enthousiasme et d’énergie. La conversation artistique avec eux est très riche. Bien sûr, j’aime aussi leur histoire : une bande qui a fait ses études à l’IAD et qui continue depuis à travailler ensemble, sans grand chef. C’est sûr que c’est quelque chose qui nous plait et qui nous est familier à Jolente, Damiaan et moi. Nous voulons encourager cette façon de travailler.

JOUER EN TROIS LANGUES NOUS PERMET D’OUVRIR LES POSSIBILITÉS, PUIS SURTOUT D’ENTRER EN CONTACT AVEC DE NOMBREUX PUBLICS À TRAVERS LE MONDE.

Tg STAN a rapidement créé des pièces en français. Pourquoi ce choix ?

Notre première volonté était de pouvoir communiquer avec le reste de notre pays. Comme les gens n’allaient pas apprendre le néerlandais, nous nous sommes dit que c’était à nous de faire l’effort. Nous traduisons le plus souvent nous-mêmes les pièces. Au début, ce ne fut pas un grand succès car il n’y avait pas d’opportunités. L’abîme entre les deux communautés linguistiques était trop grand. Notre premier spectacle en anglais date de 1994 (The Answering Machine de Finn Iunker) et en français de 1995 (JDX – un ennemi du peuple d’après Ibsen). Puis, la France nous a découvert·es et embrassé·es, notamment grâce à Marie Collin qui nous a invités au Festival d’Automne à Paris, en 2000. Nous avons alors joué JDX – un ennemi du peuple un peu partout en France. Nous avons commencé à établir des relations plus personnelles avec certains théâtres comme le Théâtre Garonne où nous avons créé en français Les Antigones en 2001. Jouer en trois langues nous permet d’ouvrir les possibilités, puis surtout d’entrer en contact avec de nombreux publics à travers le monde.

Même si nous avons à présent une place à Bruxelles, ce n’est pas encore évident pour nous de toucher le reste de la Belgique francophone. C’est même plus facile pour nous de jouer au Québec qu’en Wallonie. Ce n’est pas le public qui ne veut pas de notre théâtre. Ce sont des choix politiques de ne pas mélanger les communautés. Heureusement, ces vingt dernières années, certaines structures, compagnies ou personnes ont réalisé un travail extraordinaire pour rassembler les deux communautés, comme Jan Goossens au KVS, Transquinquennal, Dito’Dito ou encore David Strosberg aux Tanneurs.

Quoi/Maintenant, © Koen Broos

Certains spectacles créés en néerlandais sont par la suite présentés en français ou en anglais. Comment opérez-vous ces choix ?

De nombreuses pièces sont traduites en français et en anglais quelques années après la création en néerlandais. Parfois, la volonté de le jouer en plusieurs langues vient rapidement. Ce fut le cas pour La Cerisaie. Nous l’avons créée directement dans les trois langues afin de pouvoir tourner. Je vais créer Mitya en français, mais je sais déjà que je le jouerai aussi en néerlandais.

Le public francophone réagit-il différemment du public néerlandophone ?

Bien sûr, il y a des différences entres les publics. Le public de Gand ne réagira pas de la même manière que celui d’Ostende, ou celui de Paris par rapport à Brest. Une nationalité, une langue ne définit pas forcément un public. Celui de Lisbonne, par exemple, ressemble très fort à celui d’Oslo. Pourquoi ?

Notre manière de bouger sur le plateau et d’utiliser le texte est plus éloignée de la réalité des Français que de celle des Flamands ou des Néerlandais. L’humain est spécifique et commun à la fois. La réception de public est toujours quelque chose de mystérieux. À Tokyo, par exemple, iels apprécient beaucoup ce que l’on fait.

Quelle place donnez-vous au public ?

Il n’y a jamais de quatrième mur chez nous. Tg STAN croit résolument à la force « vive » du théâtre : un spectacle n’est pas une reproduction d’une chose apprise, mais il se crée chaque soir à nouveau, avec le public. Nous sommes ouvert·es vers le public, dans une sorte de déconstruction du mensonge qu’il y a dans le théâtre, ou plutôt en laissant voir le mensonge qui fait l’essence du théâtre.

Un spectacle de tg STAN n’est jamais un produit achevé, mais plutôt une invitation au dialogue, au partage. La réalité de la soirée nous guide. Il faut préciser également que nous ne montons sur le plateau qu’à la dernière minute – généralement une semaine avant la première. Nos temps de répétitions se passent essentiellement autour de la table. Le jeu en tête-à-tête est gênant. Nous avons besoin du public. Nous avons besoin de sentir les spectateur·rices, d’entretenir un rapport avec elles et eux, ce sont nos complices. Sans démagogie, nous pouvons dire que nous créons le spectacle ensemble.