MAISON D’ARTISTES
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Plaques commémoratives du 77 rue des TanneursPlaques commémoratives du 77 rue des Tanneurs

Tapies, leurs ombres

Au 77 de la rue des Tanneurs
Parmi les centaines de pavés
Indistincts et monotones
Dix dalles accrochent la lumière,
De jour comme de nuit.
Froide ou douce,
Hiver et été,
Sous nos pieds.

Dix pavés pour planter un clou dans nos mémoires
Nouer serrés nos mouchoirs sales.
Hurler ce qui a été,
Au milieu du silence.

J’ouvre la porte
Et elles sont là.
Tapies, leurs ombres
Oh, mes pieds, mes jambes, ma tête, mon cœur.

Au 77 de la rue des Tanneurs
Dans les murs de ce théâtre où durant de longs mois je serai en résidence
Il y a 77 ans
Vivaient trois familles venant de Pologne
Espérant une vie meilleure
Trois familles qui, déjà, avaient tout perdu.

Au 77 de la rue des Tanneurs
Dans les murs de ce théâtre où durant de longs mois je serai en résidence
Jusqu’au matin du 4 septembre 1942
vivaient Isaak Grynszpan et sa femme Hawa, née Rychier
Leurs deux garçons, Rudi et Siegfried, 12 ans et 14 ans
Gedalia Berenbaum et sa femme Ginda née Apelbaum
Leurs deux petits, Maurice et Max, 7 ans et 3 ans
Alter Pinkus Tencer et sa femme, Bajla Estera, née Mlynarska
Septembre 1942
C’était l’été.
Il faisait chaud
Le relevé de l’époque dit 27 degrés.

Au tout début de septembre 1942
Le soir.
La Gestapo ferme la rue des Tanneurs avec des camions
Aucune issue
Et les policiers allemands frappent au 77
Isaak, Hawa, Rudi, Siegfried, Gedalia, Ginda, Alter, Bajla sont encore à table.
Seuls Maurice et Max dorment dans leur lit.
Tous ont un quart d’heure pour plier bagage.
Monter dans les camions.
Après il n’y aura plus rien
Seuls deux lieux sur les pavés
Malines et Auschwitz

Au 77 de la rue des Tanneurs
Dans les murs de ce théâtre où durant de longs mois je serai en résidence
Quand le soleil se lève
Le 4 septembre 1942,
La température a chuté de 3 degrés
Mais il n’y a personne pour s’en inquiéter.
Ni mots, ni cris, ni soupirs, ni rires.
Rien que le silence.
L’air qui se refroidit.
L’automne, déjà, qui s’annonce

Et au 77 de la rue des Tanneurs
À chaque fois que je franchis la porte
Je ne peux m’empêcher de me demander
Si leurs âmes habitent encore notre théâtre
Si Max et Maurice et Siegfried et Rudi
Tandis que je travaillerai viendront réclamer leur chambre
Leurs jeux
Leur part de rêve
Sans laquelle rien n’est possible.
Et s’il ne faut pas que, d’emblée, je la leur donne
Que j’écrive leur histoire
Ou qu’à défaut, puisque tout se perd, je l’invente de toute pièce
Et aussi celle d’Isaak, d’Hawa, de Gedalia, Ginda, Alter et Balja
Seule arme pour apaiser la tempête,
La houle qui anéantit tout sur son passage
Que ce lieu traversé de mille fracas
Puisse trouver sinon la paix
Sinon le repos
L’insouciance
Le temps qui dure
Rendre leur place aux âmes
Du 77 de la rue des Tanneurs
Oui
Peut-être ça
Peut-être que c’est pour ça
Écrire