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Photographie de Sébastien Foucault dans Hate RadioPhotographie de Sébastien Foucault dans Hate Radio

Sébastien Foucault : récolteur d’histoire(s)

Depuis une dizaine d’années, Sébastien Foucault s’est spécialisé dans le théâtre documentaire. Que ce soit aux côtés de Françoise Bloch ou de Milo Rau, il a développé une expérience du regard et de l’écoute. Sa première mise en scène en solo, Reporters de guerre, a été l’occasion pour nous d’aller à la rencontre de cet artiste aussi passionné que passionnant.

Sébastien Foucault grandit dans un petit village français, assez pauvre d’un point de vue culturel. Une catastrophe personnelle lui révèle très tôt un monde opaque et inquiétant. Sa seule ligne de fuite : la littérature, l’écriture et un peu plus tard, le théâtre. Mais il se confronte aux limites de son imagination. La réalité lui semble plus vaste et plus complexe. Arrivé en Belgique en 1999, Sébastien explore le théâtre performatif, tout en travaillant de nuit en tant que barman. Sur les conseils d’Armel Roussel, il rentre au Conservatoire de Liège.

Sa rencontre avec le théâtre de Jacques Delcuvellerie, notamment le chef d’œuvre Rwanda 94, est une véritable claque. Sébastien Foucault découvre l’utilisation de l’enquête documentaire au théâtre et voit que l’on peut être acteur ou actrice tout en étant témoin direct de l’histoire en jeu. À la fin de sa scolarité, il fait sa première expérience du théâtre documentaire auprès de Françoise Bloch. Il a le sentiment d’être confronté à une réalité qui le dépasse et de pouvoir enfin aller au-delà des règles de la vraisemblance du théâtre traditionnel.

Le théâtre documentaire est un formidable véhicule pour regarder le monde en face, essayer de le comprendre et peut-être participer à son changement.

Le théâtre documentaire lui apparaît alors comme l’outil parfait dans lequel s’épanouir artistiquement, comme un formidable véhicule pour regarder le monde en face, essayer de le comprendre et peut-être participer à son changement. Le théâtre documentaire permet de poser un cadre sur le réel, d’observer, d’interroger, de rendre compte, de regarder là où le drame, mais aussi la poésie, surgit, là où l’humanité se révèle.

« J’adore la fiction. Mais en tant que créateur, seul le réel m’inspire. Peut-être parce que je manque d’imagination. Peut-être parce que le réel, simplement parce qu’il est le réel, peut s’affranchir des règles de la vraisemblance, et qu’il est souvent plus surprenant, plus complexe et plus poétique que la fiction elle-même. Parce que la référence au réel plonge le spectateur dans un état d’esprit particulier. Et que j’aime cet état d’esprit. »

UNE ÉMANCIPATION JOYEUSE

Quand Sébastien Foucault rencontre Françoise Bloch, elle est en train de révolutionner son esthétique théâtrale. Ses œuvres se nourrissent de textes et de travaux scientifiques et s’appuient sur des documentaires. Après deux collaborations avec le Zoo Théâtre, Sébastien rencontre, en 2011, Milo Rau qui n’est alors pas encore devenu l’un des maîtres du théâtre politique à caractère documentaire. Il participe au spectacle Hate Radio qui parle de la Radiotélévision Libre des Mille Collines (RTLM) qui fut l’un des vecteurs audios du génocide au Rwanda. Au contact de Milo Rau, Sébastien Foucault découvre une nouvelle dimension : l’enquête de terrain. Participant aux recherches dramaturgiques, Sébastien apprend à enquêter, il rencontre des témoins et des spécialistes des sujets abordés, partout dans le monde. C’est ce qui, d’après lui, lui donne la force d’interpréter au mieux les rôles qu’il joue sur scène, lui permet de se sentir légitime, voire de s’identifier. Peu à peu, il fait ses armes dans l’art de l’interview.

Portrait de Sébastien Foucault
© David Murgia

Au-delà de la dimension artistique, sa rencontre avec Milo Rau est avant tout fraternelle. Pendant dix ans, il collabore à de nombreux projets de l’International Institute of Political Murder (IIPM), dont La Reprise, Histoire(s) du théâtre, en 2018. C’est l’occasion pour lui de se projeter dans d’autres réalités, d’assouvir ce désir primitif de se confronter au monde, autant à sa laideur qu’à sa beauté, de forger des outils pour représenter le réel sur lequel il prétend agir. Aujourd’hui, Sébastien collabore toujours avec Milo Rau, mais fait un pas de côté.
Si on simplifie à l’extrême, les travaux qu’il a développés aux côtés de Françoise Bloch et de Milo Rau posent toujours la même question : « Comment (et pourquoi) un individu ou un groupe tombe-t-il dans le cercle tragique de la violence et de la souffrance ? ». Sébastien Foucault a abordé des sujets aussi vertigineux que le génocide au Rwanda, le djihadisme, le conflit israélo-palestinien, les crimes homophobes…

Avec sa création Reporters de guerre, il a tenté de répondre à une nouvelle question : « Comment résiste-t-on au mal ? ». Il enquête sur ce qui, confrontés au chaos, nous permet de résister à l’effondrement psychique et moral, à l’anéantissement. Il cherche des gestes d’humanité au milieu de l’horreur, la beauté qui surgit de la catastrophe. C’est un besoin vital. Nous traversons aussi collectivement une période difficile, sombre, et il estime que tout autant que lui, les gens ont besoin d’histoires fortifiantes.
« [Il y a deux ans], juste avant que l’épidémie ne paralyse l’Europe, nous étions en train de poser les bases du projet Reporters de guerre, avec Vedrana (journaliste pendant la guerre en Bosnie, devenue actrice), dans un petit café improbable, sur les bords de la Miljacka, à Sarajevo et ce qu’elle a dit m’a marqué : « Laissons les morts en paix. Nous avons survécu. En tant que survivants, nous avons sans doute quelque chose à transmettre. »
Reporters de guerre est aussi une réflexion sur le théâtre documentaire qu’il pratique depuis une décennie. C’est l’occasion pour lui de faire un bilan, de redécouvrir ses singularités et d’ouvrir de nouvelles perspectives éthiques et esthétiques.

L’ART DE L’INTERVIEW

L’artiste-enquêteur·rice met sa propre imagination en sourdine afin de regarder le monde en face. Iel doit pouvoir rentrer dans l’intimité des témoins directs de l’Histoire, savoir les écouter, installer un climat de confiance, poser les bonnes questions, savoir capter leurs gestes et leurs émotions, laisser surgir les souvenirs enfouis dans leur mémoire. Quels fragments choisir ? Comment transposer la réalité sur scène ? À partir de ces témoignages, l’artiste-enquêteur·rice retravaille la matière et la reproduit sur une scène pour lui donner une force, une légitimité.
Certes, le théâtre documentaire se rapproche du journalisme d’investigation. Mais, même si les méthodes se ressemblent, les finalités ne sont pas les mêmes. L’objectif du journaliste est d’informer, décoder et rendre les faits de manière objective. L’artiste qui enquête ne met pas en sourdine les émotions. Iel est une éponge qui pourra, par la suite, témoigner, citer, interpréter le plus justement possible ces témoins. Sébastien Foucault rappelle que le doute peut parfois s’installer, non au moment de l’interview, mais lors de la restitution. Peur de ne pas être à la hauteur du témoignage reçu, de le trahir, le simplifier ou l’appauvrir.

Photographie de Françoise Wallemacq et Sébastien Foucault avec un micro
© Michel Villée

LAISSONS PARLER LES VIVANT·ES

Il existe mille manières de pratiquer le journalisme. Pour Reporters de guerre, Sébastien Foucault a choisi la radio, média qui l’accompagne quotidiennement et l’a ouvert sur le monde. Comme le dit si bien Françoise Wallemacq, « la radio, c’est plus intime… plus respectueux des gens aussi. Pas de caméra pour les dévorer. Pour voler leur image. Pas de sensationnalisme, comme à la TV ou sur Internet ». Pour ce projet, Sébastien Foucault s’est tourné vers Françoise Wallemacq, journaliste à la RTBF. Lorsqu’elle couvrait le conflit en Bosnie entre 1992 et 1995, elle a beaucoup focalisé son attention sur le destin des civils, ceux qui sont prisonniers de cette tragédie collective et individuelle qu’est la guerre. À travers ses reportages, les auditeur·rices peuvent comprendre, mais aussi s’identifier. À l’instar de l’historienne Svetlana Alexeivitch qui influence beaucoup le travail de Sébastien, elle documente peut-être plus une histoire des émotions qu’une histoire des faits. Françoise Wallemacq n’est pas le personnage principal de Reporters de guerre, mais l’alter ego du spectateur – celle qui a fait une certaine expérience du Monde en son nom. Sébastien Foucault convoque autour d’elle, sur scène, des actrices et des acteurs qui sont les témoins directs et indirects de la guerre de Bosnie, pays qui, malgré les appels répétés et les promesses est resté au banc de l’Europe, un pays où la guerre continue à contaminer les imaginaires et les discours politiques.

Entre 2019 et 2021, Sébastien Foucault et son équipe ont réalisé plusieurs voyages d’études en Bosnie pour rencontrer, entre autres, des témoins que Françoise Wallemacq avait interviewé·es vingt-cinq ans plus tôt. Au cours de leur enquête, ils sont allés à la rencontre de reporters internationaux et de journalistes locaux qui ont couvert l’explosion du bloc Yougoslave, autant d’approches du métier qui dialoguent à travers le spectacle. Que faut-il montrer ou cacher, taire ou dire… raconter ? Reporters de guerre est un récit collectif et polyphonique où les expériences, les sensibilités et les points de vue se confrontent fraternellement : regard local et regard extérieur, témoin direct et indirect, artistes et journalistes, Européen·nes d’Europe Centrale et Européen·nes de l’Ouest.

La guerre permet de révéler le pire de l’être humain, mais aussi parfois ce qu’il porte en lui de meilleur.

ABORDER LA GUERRE

Depuis une dizaine d’années, l’essentiel du travail de Sébastien Foucault consiste à ausculter les mécanismes de la violence individuelle et collective, et la souffrance qu’elle génère. Dans ce cadre, la guerre qui impose à l’individu et au groupe l’expérience du tragique est un sujet obsessionnel. Elle permet de révéler le pire de l’être humain, mais aussi parfois ce qu’il porte en lui de meilleur.

Les guerres d’ex-Yougoslavie se sont déroulées à deux pas de chez nous, lorsque la conscience au monde de Sébastien Foucault s’ouvrait. À l’heure où le projet européen se fissure, où les replis identitaires et les haines refont surface, il trouve révélateur d’interroger ce qui s’est joué lors de l’explosion du bloc yougoslave.

L’ART COMME SURVIE

Sébastien Foucault a été marqué par le fait que, même pendant le siège de Sarajevo, la vie culturelle – théâtre, concerts, expositions, concours de Miss Sarajevo… – continua coûte que coûte. Comme si l’art était l’un des derniers remparts contre le sentiment d’anéantissement, comme si, face au pire, il donnait un sens possible (même illusoire) à l’existence. « Secondaires, inessentiels, l’Art et la Culture ? » Sébastien s’insurge.

Les actrices et les acteurs de Reporters de guerre sont des témoins de la guerre. En tant qu’artistes, iels maîtrisent des techniques de représentation. En tant que témoins, iels incarnent (littéralement) l’Histoire. Sébastien Foucault essaie de comprendre pourquoi toutes ces personnes se sont tournées vers l’art après avoir vécu des épisodes traumatiques. Françoise Wallemacq qui interprète son propre rôle participe elle aussi à cet acte artistique. Comme si elle s’entourait d’artistes pour pouvoir remettre en jeu des reportages, des situations qu’elle a vécues sur le terrain et les présenter d’une autre manière.