Le Canine Collectif : un collectif à 11 têtes
Le Canine Collectif est l’une des révélations de la scène belge de ces dernières années. Telle une large bouche composée de onze canines curieuses et productives, la bande a faim de créations, mord le réel à pleines dents et travaille sans relâche, que ce soit au sein du groupe ou en-dehors. Rencontre avec ces onze jeunes créateurs et créatrices.
L’aventure du Canine Collectif commence sur les bancs de l’école, et plus précisément au sein de l’Institut des Arts de Diffusion (IAD). Violette de Leu, Louise Jacob, Léone François, Colin Javaux, Colline Libon, David Nobrega, Mélissa Roussaux, Caroline Taillet, Benjamin Torrini, Emilien Vekemans et Camille Voglaire étudient l’interprétation dramatique, dans la même promotion. À leur sortie de l’IAD en 2014, alors que plusieurs metteur·ses en scène les encouragent à travailler ensemble, les onze acteur·rices créateur·rices décident de se fédérer afin de raconter des histoires. Depuis, le collectif héberge les différents projets de ses membres, qu’ils y participent tous ou non, et défend l’horizontalité dans le travail – ce qui n’empêche pas que certains spectacles aient des porteurs ou porteuses de projet. Le Canine Collectif entretient des relations d’amitié et de travail avec des créateurs et créatrices extérieur·es au groupe. Comme une grande famille.
Chaque membre du collectif à la liberté de s’investir dans et en dehors du Canine et de rejoindre les productions d’autres artistes. Vous avez pu les voir jouer dans des spectacles de la compagnie Point Zéro, du Théâtre des 4 mains, de L’infini Théâtre ou encore dans des mises en scène de Fabrice Murgia, Georges Lini… Les garçons du collectif se sont réunis, avec d’autres acteurs, et ont présenté Kill fiction en février 2022 au Théâtre de la Toison d’Or (dans une mise en scène de David Nobrega). Les filles, quant à elles, ont inspiré le court-métrage Les huîtres à Maïa Descamps qui, après les avoir vues ensemble sur scène, a décidé de les réunir au cinéma. Le versant masculin de ce court-métrage, centré autour des garçons du Canine cette fois, est en cours de production. Les ramifications sont donc multiples.
UN PREMIER SPECTACLE : LA THÉORIE DU Y
En 2015, La théorie du Y voit le jour, spectacle écrit et mis en scène par Caroline Taillet et dans lequel jouent Léone François, Violette de Leu, Colin Javaux et Émilien Vekemans. La pièce aborde le sujet de l’orientation sexuelle, avec fraîcheur, intelligence et dynamisme. Le Canine Collectif – dont le nom est un hommage au film Kinodontas de Yorgos Lanthimos – était né. L’envie de continuer à fabriquer du théâtre ensemble était déjà bien ancrée dans leurs 11 cerveaux, mais ce spectacle crée véritablement l’occasion pour tous les membres du Collectif de se fédérer également sur papier sous la forme d’une asbl.
Parallèlement au succès de la pièce qui a été jouée plus de 120 fois, a reçu deux prix au festival de Huy et a été présentée au festival OFF d’Avignon en 2019, Caroline s’associe à Martin Landmeters pour adapter la pièce en websérie. Iels remportent un appel à projet de la RTBF qui produit la première saison en 2017. La deuxième saison voit le jour en 2019, tandis que la troisième sort en mai 2022. Ce projet rassemble de nombreux membres du collectif. Parmi eux, ils sont plusieurs à entretenir des liens forts avec le monde du cinéma ou de la série, comme Benjamin Torrini qui est l’un des scénaristes et réalisateurs de Typique, une autre websérie – la première du genre en Belgique francophone – dans laquelle jouent plusieurs membres du collectif et qui a eu son petit succès sur le web, en télévision et en festival. Le Canine est avant tout un collectif de théâtre, mais il entretient des liens forts avec le collectif audio-visuel Narrative Nation.
Une donnée se retrouve dans tous leurs projets : le mélange de la réalité et de la fiction. L’enquête, la démarche documentaire, la vie des gens nourrissent leurs projets.
UN SAVOUREUX MÉLANGE DE RÉALITÉ ET DE FICTION
Le collectif n’est régi par aucune charte et découvre encore aujourd’hui son esthétique. Les styles et tons utilisés sont multiples et sont toujours au service de ce qu’iels racontent. Une donnée se retrouve toutefois dans tous leurs projets : le mélange de la réalité et de la fiction. L’enquête, la démarche documentaire, la vie des gens nourrissent leurs projets. L’un de leurs challenges est de réussir à transposer cette matière documentaire, sans pour autant faire du théâtre documentaire. La théorie du Y et Orgasme(s), dont les thèmes – la sexualité et le plaisir – sont très présents dans notre société actuelle, s’inscrivent dans des processus de création où la recherche et le réel en constituent la base.
Parfois, des textes d’auteur·rices contemporain·es – comme pour Régis – sont mélangés à une matière documentaire. Pour ce spectacle, iels ont mis en place toute une expérience au cours de laquelle iels se sont invité·es chez un inconnu qui ne savait pas qu’iels étaient des acteur·rices et ignorait tout du dispositif. Iels ont tout enregistré et filmé. De cette « représentation » dans le présent et de cette matière a découlé le travail sur le plateau. Ce dernier reprend toujours la main pour que la fiction s’y déploie. Le Canine Collectif aime explorer le présent – ses matières, ses sujets –, s’en imprégner et le mettre en scène.
Le travail horizontal, la confiance et la bienveillance sont au coeur de leur projet artistique. Chaque membre du collectif a diverses casquettes.
UNE PREMIÈRE EXPÉRIENCE COMMUNE
En 2019, le Canine crée Régis, comédie grinçante qui parle donc d’un groupe qui s’invite chez un inconnu. Le spectacle marque la première collaboration de tous les membres du collectif. Une première expérience d’horizontalité totale où mise en scène, écriture et interprétation sont partagées par les onze membres. Le travail horizontal, la confiance et la bienveillance sont au coeur de leur projet artistique. Chaque membre du collectif a diverses casquettes qui lui permettent d’être aussi bien metteur·ses en scène qu’auteur·rices, scénaristes, réalisateur·rices, acteur·rices… Il est important pour elles et eux de changer de fonction, de se diversifier, de toucher autant au cinéma qu’au théâtre. C’est une caractéristique propre à leur génération. Créer leur propre travail leur permet aussi de développer des liens de solidarité, une force collective et d’avoir une vision sur le long terme.
Ce processus où le/la comédien·ne est au centre de toutes les décisions est présent dans Les Antipodes, spectacle qui rassemble sur scène le Canine Collectif et tg STAN. Les Antipodes est une sorte de mise en abîme : des scénaristes qui ne se connaissent pas se retrouvent autour d’une table et doivent inventer ensemble une histoire qui révolutionnera la face du monde. La pièce met à jour une structure qui fait croire à un safe space, où la liberté et l’absence de jugement dominent, où les conditions de travail sont flexibles. Mais cet environnement bienveillant, à l’écoute et progressif est mis à mal par l’auteure Annie Baker qui montre en fait une société très hiérarchisée où les rapports de force sont légion. Le Canine et STAN, bien qu’issus de générations et de cultures différentes, ont une approche commune. Iels envisagent le métier d’acteur·rice comme celui de créateur·rice : du jeu à la mise en scène, en passant par l’écriture, le choix des costumes, la scénographie… tout est débattu et approuvé par les membres du collectif qui prennent part à toutes les étapes de la création. Il leur semblait donc évident d’inviter autour de la table des artistes qui se reconnaissent dans cette méthodologie de travail. Le Canine a même poussé plus loin cette démarche de travail collaborative en faisant appel, avant que tg STAN ne rejoigne l’aventure, à un collectif de traducteur·rices de l’Université de Nice, Cételle. Au total, ce ne sont pas moins de 18 mains qui ont participé à la traduction inédite des Antipodes. Les débats suscités lors de cet exercice, ainsi que la multiplicité des regards sur l’oeuvre ont fondamentalement enrichi la compréhension qu’iels avaient du texte.
UN MODÈLE À SUIVRE
Pour beaucoup de jeunes, ou moins jeunes, collectifs francophones et néerlandophones, tg STAN est un modèle inspirant. En travaillant avec eux, le Canine Collectif a pu expérimenter et découvrir leur méthodologie de travail, pour ensuite bâtir ensemble la leur : basée sur de grandes réunions en trois langues (français, néerlandais et anglais) autour d’une table où le brainstorming et la discussion sont au coeur des échanges.
Créer sur le plateau une équipe mixte : Wallon·nes, Bruxellois·es, Flamand·es, âgé·es de 25 à 60 ans, avides de s’emparer de ce texte contemporain pour trouver leur manière de raconter le monde d’aujourd’hui.
Quand iels étaient étudiant·es en arts de la scène, les membres du Canine Collectif sont allé·es voir des spectacles de tg STAN. La liberté qu’iels ont sur le plateau et qu’iels prennent avec les textes les ont directement séduit·es. Mais c’est surtout le plaisir communicatif qu’iels ont à sauter de la petite à la grande histoire sur la ligne de crête entre réalité et fiction qui fait germer chez le Canine des idées… C’était un fantasme de jeunes artistes de collaborer un jour avec tg STAN et voilà que Les Antipodes crée l’occasion parfaite de se rencontrer sur le plateau. L’envie de Camille et Benjamin lorsqu’iels initient ce projet est de confronter le Canine à des acteur·rices d’une autre génération et d’autres horizons se reconnaissant dans une démarche de travail horizontal. C’est donc tout naturellement qu’iels ont proposé au collectif flamand, de 30 ans leur aîné, de les rejoindre dans l’aventure. Leur première volonté était de créer sur le plateau une équipe mixte : Wallon·nes, Bruxellois·es, Flamand·es, âgé·es de 25 à 60 ans, avides de s’emparer de ce texte contemporain pour trouver leur manière de raconter le monde d’aujourd’hui.
UNE RIBAMBELLE D’AUTRES PROJETS
Outre les deux créations de cette saison 2022-2023, d’autres projets sont déjà en chantier, notamment celui de poursuivre un travail commencé il y a dix ans au sein de l’IAD : 5h02. Are you still there ? À l’époque, iels avaient rencontré et suivi 11 jeunes de leur âge, donnant forme sur le plateau à un récit choral, un échantillonnage de la jeunesse contemporaine. Dix ans plus tard, iels souhaitent retrouver ces personnes devenues, par la force des choses, leurs personnages et renouer avec leurs récits intimes et politiques, comme l’on ferait l’état des lieux d’une décennie… Ce projet rassemblera à nouveau sur scène les onze créateur·rices du collectif et promet à coup sûr un bel assemblage d’ingéniosité et de talents.