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Vue de la grande salle du Théâtre Les Tanneurs depuis les gradinsGrande salle vue depuis le gradin

La petite (ou la grande) histoire de « Spectacle »

Vous entrez dans la salle et vous installez confortablement. Dans quelques minutes, le spectacle va commencer. Entre excitation, impatience, parfois un peu d’appréhension, vous ne savez pas encore ce que vous allez découvrir. Ce que vous savez peut-être encore moins, c’est que le spectacle qui va se dérouler sous vos yeux a mis plus de trois années pour voir le jour. Il est le fruit d’un travail de longue haleine, de la petite graine qui a germé dans l’esprit d’un·e ou plusieurs artiste(s) jusqu’à sa diffusion à travers le pays, voire le monde. Alors, avant que les lumières ne s’éteignent, pénétrez dans les coulisses d’une création et découvrez la petite (ou la grande) histoire de « Spectacle ».

Il est 9h du matin. Dans son café préféré, ma conceptrice a rendez-vous avec un ami. Il faut absolument qu’elle lui parle d’un truc. Une idée trop géniale qui a traversé son esprit cette nuit. Impossible de se rendormir, elle s’est mise à prendre des notes. À 7h, elle appelle son ami pour qu’il la rejoigne dès que possible. Depuis quelques année, iels travaillent ensemble. Déjà 4 spectacles. Encore fiévreuse, elle lui parle de moi. L’excitation le gagne à son tour. C’est l’emballement général. Mais moi, petit « Spectacle », je ne suis encore qu’une idée. Mon accouchement sur une scène de théâtre est encore loin.
Trois mois plus tard, iels se retrouvent à la mer du Nord, pour une résidence d’écriture. Iels ont rendu des demandes de bourses d’écriture. Aucune n’a prise pour le moment. Heureusement, iels ont une copine dont la tante du copain… bref, on leur prête un appartement à la mer. Les idées fusent. Iels travaillent sur une trame qu’iels pourront partager avec le reste de l’équipe. Par la suite, iels se voient régulièrement pour continuer l’écriture.

Les six mois suivants sont consacrés à l’écriture d’un dossier et l’élaboration d’une équipe. Pour que je voie le jour, il faut rassembler des moyens financiers. L’argent – même au théâtre – reste le nerf de la guerre. Ma conceptrice et mon concepteur n’ont pas de contrat-programme, c’est-à-dire de subvention structurelle garantie pendant cinq ans. Iels fonctionnent le plus souvent avec des aides ponctuelles. Iels rendent un dossier au C.A.P.T., le Conseil de l’aide aux projets théâtraux, instance d’avis composée d’experts pour le compte du Ministère de la Culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles, rencontrent de nombreuses directions de théâtre pour leur faire part de leur projet. Certain·es sont plutôt enthousiastes. Faut dire que j’ai de la gueule quand même ! D’autres le sont un peu moins – mais, entre nous, iels n’ont franchement pas très bon goût. Parallèlement à tout cela, mes concepteur·rices continuent à me donner vie et me rendre plus concret. Iels rencontrent des acteur·rices, scénographes, créateur·rices son, lumière, costumier·ères, assistant·es à la mise en scène… Des personnes avec qui iels travaillent depuis longtemps et d’autres qu’iels ne connaissent pas.

Cela fait maintenant plus d’un an qu’elle lui a parlé de moi dans son café préféré. Iels rassemblent toute l’équipe. Iels bénéficient de deux semaines de répétitions, dans une salle d’un théâtre subventionné. Le théâtre a marqué son intérêt et s’engage dans la coproduction, synonyme de moyens humains, matériels et/ou financiers. Le/la directeur·rice artistique suit leur travail depuis longtemps et a déjà coproduit un spectacle précédent. Mais il faut encore trouver d’autres partenaires. C’est magique de voir toute l’équipe s’emparer de moi, me bousculer, me secouer parfois, me caresser, me développer, me bonifier. À la fin de la deuxième semaine, iels présentent une sortie de résidence à quelques directeur·rices. Certain·es sont plutôt enthousiastes. Faut dire que j’ai encore plus de la gueule ! D’autres le sont un peu moins – mais, entre nous, iels n’ont franchement pas de très bons goûts.
Les bonnes nouvelles tombent les unes après les autres : iels obtiennent le C.A.P.T. – tou·tes n’ont pas cette chance. En plus du petit théâtre subventionné – qui s’engage à faire ma production déléguée –, un théâtre wallon s’engage à me coproduire, ce qui m’assure des représentations dans deux lieux. Mon producteur délégué nous propose deux semaines de représentation la saison prochaine. Le second coproducteur souhaite lui me programmer dans deux saisons… et oui, les saisons théâtrales s’élaborent parfois 2 ou 3 ans à l’avance ! Je dois faire preuve de patience. Des sous, il y en a déjà pas mal grâce aux coproducteurs et au C.A.P.T. mais je coûte cher ! Un beau spectacle professionnel comme moi réclame des moyens en conséquence. Et encore, je sais que mes géniteur·rices ont beaucoup travaillé bénévolement pour me concevoir, me penser…

Vue de la grande salle du Théâtre Les Tanneurs
© Alice Piemme

Deux années se sont maintenant écoulées depuis qu’elle lui a parlé de moi dans son café préféré. Plusieurs périodes de répétitions ont eu lieu. C’est toujours l’emballement général. Suite au travail sur le plateau, iels peaufinent mon texte. Une nouvelle résidence d’écriture à la mer s’impose. Iels vont également au sein du théâtre subventionné pour parler de moi à toute l’équipe. Il y a du monde. Même si je ne suis encore fait que de papier, j’ai le trac. Il y a le/la responsable de la production et le directeur·rice artistique que nous connaissons déjà, mais aussi un·e responsable de la communication – qui pose vraiment beaucoup de questions… qu’est-ce qu’iel est curieux·se ! –, un·e responsable des relations avec les publics – qui a plein d’idées géniales pour toucher un max de personnes – un·e responsable de la billetterie, un·e directeur·rice administratif·ve, un·e responsable de l’accueil, un·e directeur·rice technique, plusieurs régisseurs… C’est beau de voir tout ce petit monde prendre part à mon aventure !
Ça y est ! Mon nom est annoncé dans la brochure de saison : « Spectacle » de Iels, création. J’en rougis. Maintenant, c’est du sérieux, dernière ligne droite. Quelques mois se passent. Derniers préparatifs. Encore deux semaines de répétitions dans une petite salle que nous louons à une autre compagnie avant d’arriver dans la grande salle du théâtre. Le travail bat son plein. On voit des affiches de moi dans la ville. Sur les réseaux sociaux, ça s’agite beaucoup aussi. Mes concepteur·rices sont souvent en rendez-vous avec les responsables de la communication et des relations avec les publics. Iels parlent du projet à la radio, dans les journaux… Iels vont dans les écoles et les associations aussi. Comme je suis honoré. Qu’est-ce qu’iels parlent bien de moi. Le/la responsable de la production vient aussi souvent nous voir et il m’a à l’œil… Gare au dépassement du budget ! Dans les loges, on nous a préparé plein de bonnes petites choses à grignoter. C’est le/la responsable de l’accueil qui nous ravitaille. Puis l’équipe technique est toujours aux petits soins avec nous. Une nouvelle personne est arrivée dans l’équipe. Elle est en charge de la diffusion du spectacle. Iel aussi a souvent beaucoup de questions.

Jour J. Ma naissance ! Les lumières du gradin s’éteignent. À mon tour de jouer. À la fin de la représentation, je suis triste que ce soit déjà fini. Mais on remet ça demain et les jours suivants. Certain·es spectateurs·rices sont enthousiastes. Faut dire que j’ai vraiment de la gueule ! D’autres le sont un peu moins. J’aime rencontrer mon public. Certain·es sont des habitué·es et viennent souvent ici. D’autres mettent les pieds dans ce théâtre pour la première fois. La dernière a déjà sonné. Nous sommes tristes. C’est passé si vite. Carton plein ! Plusieurs lieux ont montré leur intérêt. Dans plusieurs mois, on remontera mon décor pour me montrer à d’autres publics. Une sacrée aventure, ça c’est sûr !