Entretien avec la Cie Still Life
En mars 2025, la Cie Still Life créait TIMBER, une fable contemporaine disséquant notre lien au vivant et prenant place dans une forêt menacée d’extinction. Nous avions eu l'occasion de les rencontrer, quelques semaines avant la première.
Après Flesh et le besoin de reconnexion aux autres êtres humains, vous allez explorer dans Timber le besoin de reconnexion avec la nature. Est-ce que le premier spectacle a entrainé le second ?
L’écriture de Still Life se concentrant surtout sur les humain·es et leurs comportements, les deux spectacles ont forcément été motivés par ce leitmotiv. Flesh était lié à notre besoin de l’autre, à notre manque de liens dans une situation post-Covid. Timber est lié à nos angoisses partagées dans un monde où l’écologie semble aller de moins en moins bien. Les deux spectacles cherchent à recréer une connexion. Comment réinscrire l’humain·e dans un ensemble afin qu’il ne soit pas orphelin, autant auprès des autres qu’auprès de la nature.
Dans Timber, nous soulevons aussi la question de l’habitabilité de notre monde: comment nous comportons-nous dans celui-ci, comment vivons-nous avec celui-ci. Dans un monde qui va formidablement mal, comment allons-nous nous en sortir ?
Pourquoi avoir choisi l’espace de la forêt pour aborder cette thématique ?
La forêt est arrivée très rapidement dans l’écriture et a posé une pierre assez solide dans la construction du spectacle. Elle est le lieu de l’imaginaire par excellence. Un lieu de projection, de fiction, ainsi que des peurs. Elle raconte en permanence le cycle de la vie et de la mort, thème récurrent au sein de notre compagnie.
Les personnages de Still Life évoluent généralement dans des lieux normés, «entre quatre murs ». Nous avons ressenti le besoin de lâcher ceux-ci en pleine forêt. Comment à présent vont-ils évoluer dans la nature, s’y confronter et y confronter leurs pulsions, leurs fonctionnements, leurs peurs, leurs besoins de cérémonie et de symbolique ?

Quel sens donnez-vous au titre du spectacle Timber ?
« Timber » est le cri d’alerte poussé par les bûcheron·nes avant que l’arbre ne tombe. C’est ce cri qui nous intéresse. Il annonce que quelque chose de terrible est en marche. Nous voulions nous rassembler autour de ce sujet terrible et, comme toujours chez Still Life, s’y confronter avec humour. On peut y voir un désir de désamorcer, par cet humour et ce décalage, les angoisses qui nous habitent.
Ce « monde où tout va formidablement mal » que vous décrivez dans vos spectacles parait aujourd’hui de moins en moins fictif. Quelle est votre réponse à l’état du monde ?
Notre réponse utilise la fiction, l’onirisme et l’image. Encore une fois, avec ce spectacle, nous voulons marquer la rétine du/de la spectateur·rice à l’aide d’images fortes qui racontent nos pulsions et la vie, qui révèlent toute la complexité de ce qui nous habite, le pire comme le meilleur. Nous voulons donner à voir la puissance du vivant. Le monde ne s’arrêtera pas avec nous. Le vivant trouvera toujours son chemin. Essayons de faire partie, le plus longtemps possible, de ce monde qui vit une inexorable métamorphose.
Derrière l’humour et la fiction, y a-t-il malgré tout une volonté de dénonciation?
Notre objectif premier avec ce spectacle est de faire descendre l’être humain de son piédestal pour le remettre dans le cycle du vivant. Notre volonté est de mettre une loupe sur les êtres humains, leurs comportements individuels et collectifs dans un monde qui nous semble de plus en plus chaotique.
Qui sont justement ces humain·es qui peuplent Timber ?
Ce sont des humain·es qui essaient de s’adapter dans cette forêt qui va de moins en moins bien. Ils essaient de trouver du sens, de chercher un lien avec elle, d’y venir quoiqu’il arrive. Malgré le terrible qui est en marche et le chaos qui est à leurs pieds, ces personnes essaient de se démener : sauver un orang-outan, cultiver le romantisme de la nature, chercher le bien-être, etc.
La galerie de personnages est vaste. Il y a des soigneur·ses, un couple hyper romantique en contact avec les communautés virtuelles, un groupe de personnes qui fait un stage de reconnexion à la nature et une très vieille femme qui tente à tout prix d’enterrer un être cher. Il y a aussi des animaux : un orang-outan, des oiseaux, un chien, etc.
Une autre caractéristique est la construction du spectacle : 4 tableaux pour évoquer une même thématique. En quoi cette construction vous aide-t-elle dans l’écriture du spectacle ?
Ce choix porteur de sens nous permet d’aborder une thématique par différents points de vue, différents angles, différentes images. Notre volonté est d’ébranler les sensations, les émotions du public, de l’emmener sur le terrain des pulsions. Ce format en tableaux correspond le mieux à la dramaturgie que nous développons dans le non-verbal, il enrichit notre terreau dramaturgique.
L’écriture d’un récit bref se traduit davantage comme un jet, c’est une écriture qui doit se montrer efficace sans pour autant être superficielle. Elle se doit d’être essentielle. Le scénario peut alors se construire organiquement et radicalement, dans une concentration de récits, telle une écriture physique et picturale.

L’action se passe dans une forêt en voie de disparition, personnage à part entière du spectacle. Comment porter une forêt au plateau ? Quels sont les défis techniques de cette nouvelle création ?
Le projet scénographique, qui a été pensé et créé par un trio de scénographes – Aurélie Deloche, en étroite collaboration avec Nicolas Olivier et Noémie Vanheste –, donne à voir quatre endroits de la forêt, un peu comme quatre îlots, quatre derniers icebergs où il reste un morceau de cette forêt. Ces coins de forêt évoquent un mouvement global au niveau mondial. Tout au long du spectacle, la forêt poursuit sa traversée en passant par différents états destructeurs et va jusqu’à une métamorphose, un renouveau, à l’image du cycle de la vie et de la mort.
Cette scénographie entraine évidemment mille et un défis techniques. Mettre une forêt au plateau est déjà un beau challenge, d’où notre volonté de ne pas représenter toute une forêt, mais juste son essence. Ensuite, le spectacle regorge d’autres défis techniques liés notamment aux animaux présents sur scène : un orang-outan (joué par une actrice) ou encore des oiseaux (pour lesquels nous avons recours à l’électronique).
L’équipe qui vous accompagne est composée de fidèles complices. Un mot à leur sujet ?
Notre processus de fabrication de théâtre sans paroles nécessite de réunir autour de nous un noyau d’artistes spécifiques et expert·es dans des domaines bien précis. En effet, notre théâtre est traversé par plusieurs disciplines : le cinéma, l’art plastique, la danse, les effets spéciaux. Ceci fait partie de notre singularité. Cette recherche de partenaires les plus approprié·es et qualifié·es nous permet d’aiguiser toujours plus la définition de notre langage.
Travailler depuis nos débuts avec des fidèles compagnons et compagnes, à presque tous les postes, permet une certaine audace. Cette confiance fait évoluer notre écriture et contribue dès le début des projets à relever certains challenges. L’exigence qu’a notre écriture devient un moteur de travail pour tout le monde. Joachim Jannin et Cinzia Derom ont, par exemple, cherché une manière de représenter au mieux un orang-outan et n’ont pas abandonné une piste qui peut sembler au départ trop audacieuse. Cinzia a suivi une formation sur la manière de simuler les muscles dans un costume. Joachim a, quant à lui, décortiqué l’anatomie d’un orang-outan, via des scans 3D, pour la faire correspondre à un corps humain. Charlotte Persoons (régisseuse plateau) et Noémie Vanheste (accessoiriste) conçoivent les oiseaux en ayant recours à de l’électronique. Il y a une véritable stimulation dans la création qui a fait boule de neige auprès de nos collaborateur·rices. Nous sommes porté·es et dépassé·es par la manière dont chacun·e prend le projet à bras le corps et cherche des solutions.
Pour l’écriture, nous travaillons depuis de longues années avec Thomas van Zuylen. Bien entendu, il y a une certaine fluidité qui s’est installée et une grande connaissance dans notre manière de fonctionner à trois. Puis, nous savons pour qui nous écrivons : nous deux, Sophie et Aurelio, mais aussi Muriel Legrand et Sophie Leso. Ces deux dernières sont nos deux fidèles comédiennes-artistes au plateau. Travailler avec elles nous permet de creuser un sillon dans notre écriture. Certaines partitions sont vraiment du sur-mesure.
Citons aussi les autres fidèles collaborateur·rices : Sophie Jallet en assistanat général, Guillaume Toussaint-Fromentin à la création lumières, Camille Collin à la création costumes. Il y a toujours aussi quelques nouvelles collaborations. C’est le cas de Maxime Pichon qui réalise le son. Pour cette création, nous sommes aussi soutenu·es par de nouveaux partenaires (en plus du Théâtre Les Tanneurs et du Centre Culturel de Huy qui sont des fidèles) : la Comédie de Clermont-Ferrand et Les Célestins à Lyon. C’est gai de voir cette confiance s’installer.
Cet entretien a été réalisé par Emilie Gäbele, responsable communication du Théâtre Les Tanneurs, le 20 janvier 2025.

